C’est une victoire importante pour les opposants à l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. Avec l’opposition inflexible jusqu’ici des dirigeants de la Wallonie, en Belgique, il est devenu impossible de maintenir le grand raout prévu pour sa signature jeudi prochain.
Cette fois, c’est plus que probable : il va bien falloir tout décommander pour la cérémonie officielle. Jeudi prochain, les chefs d’État de toute l’Union européenne et du Canada devaient se retrouver à Bruxelles pour célébrer la signature du Ceta, l’accord de libre-échange entre les deux puissances. Mais au terme d’une semaine rocambolesque, entre pressions, chantages et ultimatums, les représentants de la région wallonne et des francophones de Belgique ont réussi à imposer un report sine die avant l’adoption éventuelle de ce traité international. Hier en début d’après-midi, à l’issue d’une rencontre avec les dirigeants des institutions régionales et communautaires du royaume, le premier ministre belge, Louis Michel, francophone libéral et fervent partisan du libre-échange, a dû l’admettre à contrecœur : « Nous ne sommes pas en état de signer le Ceta. On nous a demandé de donner une réponse claire aujourd’hui. La réponse claire à ce stade, c’est non. » Ses alliés flamands, les nationalistes de la NVA, hégémoniques au gouvernement belge, n’ont pas pris de gants pour exprimer leur désarroi. « C’est une honte, estime Geert Bourgeois, le ministre-président flamand. Nous sommes la risée du monde entier. » En revanche, pour les opposants au Ceta et au « partenariat commercial » avec les États-Unis (Tafta) – toujours en négociation dans une opacité quasi complète – qui manifestent et pétitionnent des deux côtés de l’Atlantique, c’est une victoire nette et sans bavures.
L’épisode actuel laissera des traces
Tout n’est pas joué, cependant : le Ceta n’est pas mort et enterré. Après avoir tenté par tous les moyens d’extorquer, dans la dernière ligne droite, l’approbation de la Wallonie et de la Communauté française de Belgique – indispensable en vertu de l’architecture institutionnelle de l’État belge – à l’accord soumis à signature, la Commission européenne a fini par changer son fusil d’épaule. Hier matin, la porte-parole de Jean-Claude Juncker avait officiellement accordé le délai supplémentaire réclamé par les représentants des institutions belges. « En ce moment, il nous faut de la patience », estime ainsi Margaritis Schinas, assurant contre l’évidence : « La Commission n’a pas l’habitude de travailler avec des ultimatums ou des délais. »
Après l’échec au sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, jeudi et vendredi, des négociations directes entre les dirigeants wallons, les Canadiens et la Commission européenne ont eu lieu, mais elles n’ont pas abouti. L’épisode assez inédit illustre la profondeur de la crise, car le fait que la Commission dispose d’un monopole exclusif de représentation constitue l’un des grands problèmes de ces négociations secrètes, ou à tout le moins discrètes, en vue de la signature d’accords commerciaux internationaux. Ces échanges pourraient se poursuivre, maintenant que le calendrier est desserré. Plus exigeants sur les normes sociales et environnementales, intransigeants sur la défense des services publics et de l’agriculture, opposés au mécanisme de « règlements des conflits » qui permet aux multinationales d’attaquer les États devant des cours d’arbitrage semi-privées, les dirigeants wallons ont veillé à ne pas fermer complètement la porte au Ceta. « Il est évident que, dans les circonstances actuelles, on ne peut pas donner un oui aujourd’hui », a simplement avancé Paul Magnette, le ministre-président socialiste wallon. André Antoine, son allié social-chrétien à la région wallonne, insiste : « Nous voulions la transparence, nous voulons que la démocratie soit respectée. Nous sommes devant une marmelade de textes : j’ai 300 pages de traité, 1 300 pages d’annexes. J’ai deux déclarations, même peut-être trois interprétatives, j’ai un instrument interprétatif. Il va falloir remettre de l’ordre dans tout ça. »
L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada bouge encore, mais l’épisode actuel laissera des traces. Dimanche matin, Paul Magnette confiait son étonnement sur les réseaux sociaux : « Dommage que les pressions de l’Union européenne sur ceux qui bloquent la lutte contre la fraude fiscale ne soient pas aussi intenses. » Et l’avant-veille, à la fin du Conseil européen, Jean-Claude Juncker se tirait joyeusement une balle dans le pied : « Je reste bouche bée, interloqué, surpris par le fait que lorsque nous concluons un accord commercial avec le Vietnam, qui est mondialement connu pour appliquer tous les principes démocratiques, personne ne lève la voix. Alors que, quand nous concluons un accord avec le Canada, qui est une dictature accomplie comme nous le savons, tout le monde s’excite pour dire que nous ne respectons pas les droits de l’homme et les droits économiques et sociaux. » Au-delà des mobilisations citoyennes et politiques qui seront probablement regonflées par cette première manche remportée, on peut décidément compter sur la radicalité néolibérale de ses meilleurs défenseurs pour peut-être achever le Ceta et le Tafta dans un futur proche…