Sarko et les musulmans

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Comment Nicolas Sarkozy joue avec l’islam politique

Un article publié dans l’Humanité au mois d’août. Effectivement, comme l’ancien Président de la République l’a dit sur l’émission politique de jeudi soir, beaucoup aurait pu être fait pour lutter mieux contre le terrorisme. Il aurait fallu faire le contraire de ce qu’il a fait comme membre du gouvernement puis Président, à savoir ne pas favoriser l’islam politique des salafistes pour représenter les musulmans en France (non pas qu’on puisse se satisfaire de l’action de Valls, mais autant rappeler les responsabilités de chacun !). Vous allez comprendre :

(début de l’article de l’Huma)

L’ex-ministre de l’Intérieur avait en toute connaissance de cause promu au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM) des groupes salafistes au détriment de l’islam des Lumières. Et aujourd’hui il se vante d’être le seul capable de bouter hors de la République l’ennemi islamiste…

Avide de croisade, Nicolas Sarkozy a ressorti de la naphtaline sa panoplie mitée de l’antidjihadisme. Un costume précieux, raccommodé au fil des années, exhibé comme un fétiche depuis qu’il lui avait porté chance en 2007. Il est aujourd’hui prêt à en découdre avec « les barbares » qui font « suffoquer » la République. Ces mots connotés, savamment employés par l’ex-chef de l’État, entretiennent le mythique « choc des civilisations » cher aux réactionnaires de tous bords.

Le voilà qui se vante d’être le seul guerrier capable de bouter hors de la nation l’ennemi islamiste. Un ennemi qu’il connaît effectivement mieux que quiconque, puisqu’il a sciemment contribué à son émergence lorsqu’il était ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Raffarin, entre 2002 et 2004. Un épisode que l’ancien chef de l’État voudrait faire oublier.

L’année 2003 va graver dans le marbre la date précise où Nicolas Sarkozy décide de privilégier l’islam politique au détriment de celui des Lumières.

Alors que, pendant des années, la société réfléchissait à la place de la deuxième religion de France au sein de la République, la vedette du gouvernement de l’époque arrive en homme providentiel et crée, dans une précipitation calculée, le Conseil français du culte musulman (CFCM), supposé représenter les croyants. Il introduit dans cet organe fragile les courants intégristes et fondamentalistes par le biais d’un mode d’élection largement avantageux pour les associations prônant l’idéologie islamiste.

Le ministre Sarkozy joue cette carte-là, dans un contexte déjà bien marqué par la menace islamiste et terroriste, marqué aussi par une lutte d’influence entre l’Algérie et le Maroc, et par la pression de la manne saoudienne, autre État tiers à s’immiscer dans l’islam en terre française. Cet État wah-habite, salafiste, assure les moyens financiers de très nombreuses associations islamiques, essentiellement celles qui font du prosélytisme auprès des jeunes, comme les prêcheurs du Tabligh, mouvement international piétiste refusant toute logique d’intégration dans la vie. La Ligue islamique mondiale saoudienne, qui avait ouvert une agence à Paris, en 1977, finance en fait l’essentiel de l’islam intégriste ou fondamentaliste, dont les représentants créent la Fédération nationale des musulmans de France (elle scissionnera par la suite). De leur côté, les Frères musulmans profitent de leurs propres réseaux de financements en Arabie saoudite. Ces Frères musulmans fondent l’Union des organisations islamiques de France (UOIF).

Le CFCM aurait dû être « un organe pédagogique, d’éclairage »

Ce sont ces associations que le ministre de l’Intérieur a privilégiées pour constituer le CFCM, moyen pour lui de projeter la lumière sur cet islamisme afin de mieux s’en servir lorsqu’il se jettera dans la campagne de la présidentielle de 2007. Une manœuvre dangereuse dénoncée par les tenants d’un islam progressiste. « Je n’ai pas cessé de dire à Nicolas Sarkozy que si l’objectif du CFCM consiste à mette en place un islam de France, on ne pouvait accorder autant d’importance à ces courants, ces idéologies qui perturbent la religiosité des musulmans ordinaires », se remémore Soheib Bencheikh. Théologien, il faisait partie de la poignée de « personnalités qualifiées » auxquelles le ministre avait daigné accorder un siège au CFCM. « Il avait accepté d’introduire au sein de cet organisme très peu d’intellectuels éclairés qui cherchaient, non pas un organe représentatif de l’islam, mais un organe pédagogique, de rayonnement, d’éclairage pour une lecture islamique adaptée aux réalités nouvelles, à la laïcité et à la privatisation de la foi, laquelle n’empêche nullement l’épanouissement des musulmans dans la société », souligne Soheib Bencheich. Ce dernier quitte alors le CFCM, amer que « les espoirs se soient évaporés gratuitement, tout simplement pour un effet d’annonce ».

Un geste effectué après celui, semblable, en 2003, de Betoule Fekkar-Lambiotte, autre personnalité qualifiée, auteure de la Double Présence (Seuil), à dénoncer le stratagème sarkozyste : « Nous avons été sacrifiés, nous les anti-communautaristes, sur l’autel de la République. » Deux ans plus tard, sa successeur, Dounia Bouzar, claque à son tour la porte du CFCM, provoquant un malaise au sein du pouvoir. « Le gouvernement islamise des problèmes sociaux et politiques », déclarait-elle à la presse pour justifier son départ. L’anthropologue citait les nombreuses questions sur lesquelles les autorités politiques sommaient le CFCM de répondre, telles « la place des Algériens dans l’histoire de France, l’immigration ou encore l’intégration ». Pourtant, rappelle Dounia Bouzar, la mission de cette institution musulmane n’était autre que d’organiser le culte. Ainsi, interrogé sur le problème du voile islamique, le CFCM, truffé d’islamistes, a décrété qu’il était « une prescription religieuse, refermant un débat qui n’est pas tranché dans les pays musulmans », notait Dounia Bouzar au moment de sa démission.

Des manœuvres politiciennes cyniques afin de récolter la peur

Une fois que Nicolas Sarkozy s’est assuré de la reconnaissance des courants islamistes, à la fois minoritaires et agissants, pour montrer à la société entière l’islam politico-religieux, il a démarré « son tour de France électoral afin de récolter la peur de la visibilité de ce soi-disant islam de France », dénonce Soheib Bencheikh. « J’avoue craindre des manœuvres cyniques de Nicolas Sarkozy, qui n’ont aucun intérêt, même minime, pour le pays », confie le théologien. « L’islam est utilisé dans le monde musulman pour la conquête du pouvoir, il est également instrumentalisé en France dans l’intention de faire peur, pas par tous, Dieu merci, mais par des populistes comme Sarkozy », poursuit-il.

Après le krach de septembre 2008, en pleine crise financière mondiale, l’hôte de l’Élysée ne trouve rien de plus urgent que d’imposer son débat amalgamant immigration, islam, identité française ou encore laïcité « positive ». Le jeune chercheur au CNRS Antoine Jardin souligne (1) : « Alors que les stratégies de réponse à la crise économique peinent à émerger, la recherche d’une essence de l’identité nationale ravive les plaies ouvertes par la crise des banlieues » de 2005. Cette recherche, note-t-il, « devient le creuset d’un affrontement ayant pour enjeu la délimitation virtuelle des différences entre “eux” et “nous”, avec, en miroir, la légitimation des dynamiques particularistes ».

L’affrontement et le calcul politicien ne sont pas sans conséquences sur le développement du communautarisme de tout ordre et le risque de délitement de la communauté nationale. Ce calcul n’est pas étranger à l’extension de l’idéologie islamiste, laquelle saute aujourd’hui aux yeux. Sans conteste, la fondation du CFCM, en 2003, par le « Monsieur Sécurité » du gouvernement a ouvert en grand les portes à l’islamisation de la société, notamment par le biais du Tabligh et de l’UOIF. Ces deux mouvements étaient, à cette période, très actifs au sein des cités populaires reléguées, oubliées des autorités politiques. L’influence prépondérante de l’UOIF dans ces milieux a été acquise depuis la première affaire du voile islamique dans un collège de Creil, en 1989. Une affaire dont s’étaient emparés ces islamistes pour jouer les boutefeux. À partir de cette date, jusqu’à aujourd’hui avec le burkini (contraction de burqa et bikini), la revendication de l’enveloppement du corps des femmes dans un vêtement islamique constitue « le cheval de bataille de la rupture en valeurs », selon l’expression de l’islamologue Gilles Kepel. Chaque cas était instrumentalisé, médiatisé par l’UOIF en utilisant le levier juridico-politique, avec, toujours, l’argument victimaire. Aujourd’hui, c’est le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) qui joue ce rôle.

L’idéologie islamiste est une aubaine pour ce va-t-en guerre

Petit à petit, la France commençait à se métamorphoser, selon la soufie Betoule Fekkar-Lambiotte, en « un assemblage de communautés qui se bouffent le nez », se désespère aujourd’hui celle qui a rompu le silence qu’elle s’était imposé depuis son départ du CFCM. Elle affirme : « Les terreurs sont entretenues. À force de nous monter les uns contre les autres, il n’y a plus d’harmonie possible. Il y a une espèce de démesure, une escalade dans les propos où l’on perd de vue ce qu’est l’islam. » Très inquiète de cette période « préchaotique », elle confie : « Je souffre de l’état dans lequel se trouve désormais mon pays. »

Quel crédit peut-on donc accorder aujourd’hui au candidat à la primaire de la droite quand il affirme vouloir « lutter contre l’islamisme », ou bien quand il clame : « La République devra exiger de l’islam de France un effort d’adaptation et d’intégration » ? La question se pose légitimement. Et ce prétendant au fauteuil suprême devra y répondre, lui qui a amplement contribué à rendre présentable, visible, l’islam politique, et à faire de ses représentants des personnes respectables, dignes de figurer parmi les invités de la Place Beauvau, puis de l’Élysée.

L’idéologie islamiste, profitant de la naïveté plus ou moins grande de certains politiques, a produit les actes terroristes qui, désormais, hantent tous les citoyens, qu’ils soient femmes ou hommes, enfants ou vieillards, français ou étrangers, croyants ou athées. Et comme s’il était vierge de tout soupçon, le candidat Nicolas Sarkozy entend partir à l’assaut des islamistes radicaux. « La guerre devra être menée par la République, partout, tout le temps, avec une détermination totale. »

Il faut reconnaître à l’homme sa connaissance parfaite de la société française et des rapports de force politiques en son sein. Mais ce bosseur, qui scrute constamment l’état d’esprit des Français, va une fois de plus utiliser cette connaissance pour mieux exacerber les conflits. En ce sens, il jubile à chaque démonstration de force des islamistes, lesquels exhibent comme un étendard les niqabs et autres burkinis. C’est une aubaine pour ce va-t-en-guerre qui a lancé ses soldats à l’attaque de chaque affaire susceptible de médiatiser le conflit, le rendre public. À ce régime, « la guerre civile » pensée par Daech dans l’Hexagone pourrait ne plus être du domaine du fantasme.

(1) Terreur dans l’Hexagone, de Gilles Kepel, avec Antoine Jardin. Éditions Gallimard, 352 pages, 21 euros.

L’hydre tentaculaire du salafisme  Selon le théologien Soheib Bencheikh, « l’islam de France a commencé à être travaillé par une vague salafiste très dangereuse ». Cette vague, souligne l’ex-membre du Conseil français du culte musulman, n’est pas  «spécifique » à la société française. C’est l’islam sunnite (à la mort du prophète Mohamed, les sunnites et chiites ne lui reconnaissent pas le même successeur) dans le monde entier qui subit un salafisme « envahissant ». Lequel, selon Soheib Bencheikh, cherche à s’imposer à la religiosité traditionnelle. Dans le salafisme, rappelle-t-il, l’aspect doctrinal est emprunté au wahhabisme.

 

Mina Kaci Mercredi, 24 Août, 2016

L’Humanité

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